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Réchauffement climatique : doit-on mettre des canots à la mer?

25 novembre 2020

À notre époque, c’est devenu un lieu commun de dénoncer les dommages à la nature qui ont été commis dans l’Après-Guerre : pollutions, plastiques, etc. On a consommé, surconsommé, jeté. On a sacrifié l’environnement sur l’autel du profit et de l’argent facile. Cela a fait partie de l’éducation de plusieurs générations. On enseignait à l’école pourquoi et comment l’industrie chimique et du plastique constituaient l’avenir de la société. On montrait du doigt ceux qui s’opposaient à ce qu’on appelait pompeusement la marche du progrès.

Et aujourd’hui ? Certes, il y a eu une prise de conscience des effets de cette course effrenée au profit à court terme. On déplore l’inconscience et l’aveuglement qui ont détruit des écosystèmes, asséché des lacs, pollué les sous-sols.

Mais est-ce que cette prise de conscience est complète ? Est-ce qu’au lieu de se réveiller pleinement, on ne sombre pas dans d’autres réflexes obscurantistes ?

Nos schémas de pensée sont-ils dépassés ?

Des pans de la société ont réalisé que quelque chose n’allait pas avec notre culture, avec la façon dont nous voyons le monde.

Une partie des médias traditionnels, malheureusement, continuent à expliquer ce qui s’est passé avec des termes qui appartiennent à cette époque révolue de la Guerre Froide; c’est-à-dire qu’ils raisonnent en termes de «  capitalisme  » et «  socialisme  ».

Franchement, c’est du temps perdu : cette dialectique appartient au passé, depuis que l’Union soviétique s’est effondrée en 1991. Et le «  capitalisme  » serait ensuite entré lui aussi en crise ? Peut-être, mais laissons tomber: «  socialisme  » et «  capitalisme  » sont des mots tellement polysémiques (qui ont beaucoup de sens possibles), qu’on en fait difficilement des discussions. Surtout des nuages de poussière.

Bien sûr, le discours de la réduction des entreprises cotées en bourse à deux objectifs à court terme (le profit et le cours de bourse) pose un problème extrêmement grave. Mais ce n’est pas un problème abstrait de capitalisme versus socialisme. C’est un problème tout à fait concret d’entreprises cotés en bourse.

Laissons-le de côté pour le moment, et abordons la question de la relation entre les deux questions de l’environnement et la conquête spatiale.

L’environnement

Alors, parler de l’environnement, et notamment du réchauffement climatique ? Oui, volontiers : c’est un aspect intimement lié à la survie de l’humanité. Sauf qu’on ne construit pas une vision du monde complète avec l’environnement. Au contraire c’est un terme restrictif : il s’applique uniquement à la Planète Terre et à son écosystème, alors que l’Univers est vaste.

Avertissement

Ne retombons pas à nouveau dans le piège du géocentrisme qui avait précédé Galilée et Kepler, et qui faisait tourner le soleil et les étoiles autour de la Terre.

L’environnement (de la planète) est un composant essentiel de la vie de l’humanité. Il n’est pas tout, et de loin ! Vu des confins de notre système solaire la Planète Terre n’est qu’un «  point bleu pâle  ».

Le 'Point Bleu Pâle': la Terre vue depuis les confins du système solaire (1990). Source: NASA

Le point bleu pâle est une référence à l’figure de la Terre prise le 14 février 1990 par la sonde Voyager 1. Le monologue de Carl Sagan (1994) délivré avec la voix si caractéristique de ce personnage devrait nous donner à réfléchir au-delà du géocentrisme[1].

La sauvegarde de la planète par l’humanité, ne se fera pas uniquement si l’humanité se replie sur la planète.

L’être humain est –biologiquement – un marcheur, un explorateur. Il a physiologiquement besoin de nouveaux horizons.

La question du géocentrisme, posée pour le XXIème siècle, est la suivante: est-ce que l’humanité devrait vraiment se confiner sur une seule planète, tout en continuant à mettre en danger l’écosystème ?

Le dilemne éthique : l’allégorie des canots à la mer

On pourrait commencer à y réfléchir, avec une expérience de pensée.

Pour commencer, imaginons que notre planète soit un navire, une arche de Noé, sur laquelle est contenue toute l’humanité et l’écosystème de la planète.

Le dilemme des canots à la mer

Supposons un bâteau en difficulté, qui doit envisager sérieusement le risque de couler corps et bien avec tous ses passagers.

Est-ce que la bonne réaction du capitaine serait de dire :

«  Personne ne descendra de ce bâteau. J’empêcherai à quiconque, y-compris les personnes âgées et les enfants de descendre dans les canots ?  »

Cela pose trois questions :

  1. Est-ce que l’opération de mettre des personnes à l’abri mettrait en danger le navire en accaparant une partie de ses ressources. Est-ce que cela saperait le moral de ceux qui restent ?
  2. Ou est-ce que cette opération ne permettrait pas d’augmenter les chances de survie bâteau de deux facons:

    • En permettant de concentrer les ressources et l’attention de l’équipage sur le sauvetage du navire, au lieu de s’occuper de passagers ?
    • En se donnant la possibilité d’obtenir en retour des secours (sous formes par exemple de ressources ou d’aide), si l’opération allait à bon port ?
  3. Veut-on prendre le risque de faire perdre à ces gens la sécurité (temporaire) du navire, pour des aléas de la pleine mer ?

Il n’y a pas de réponse à priori

Le dilemne des canots à la mer est plus profond qu’il n’y paraît. On ne peut pas vraiment le résoudre à priori.

La question 3 n’est pas triviale. À l’époque où Carl Sagan avait écrit son livre, on pensait que

Quote

La Terre est le seul monde dont on sait qu’il abrite la vie. Il n’y a aucun endroit, au moins dans un proche avenir, où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’établir, non pas encore. Que cela nous plaise ou non, la Terre est l’endroit où nous tenons notre position.2

Vingt-cinq ans plus tard, le point de vue a évolué. Au début de la seconde décade du XXIe siècle, l’hypothèse que la vie pourrait exister ailleurs que sur Terre est devenue dominante, a défaut d’avoir été prouvée. La NASA et la société privée SpaceX parlent désormais d’aller sur Mars3; l’Agence spatiale européenne se demande, symboliquement, si Europe (le satellite de Jupiter) pourrait être habitable4. On n’y est pas encore, mais on y pense sérieusement.

Et donc, refuser par principe le droit de certaines personnes de chercher le salut ailleurs, serait-ce vraiment de l‘«  esprit d’équipe  » vis-à-vis de la planète ?

Ou serait-ce l’égoïsme d’idéologues, ou de gouvernements qui ont peur pour leur propre prestige et leur propre autorité ?

Ceux que je critique ici, sont ceux qui veulent donner une réponse idéologique à la question de la recherche et le développement des technologies spatiales, sous prétexte que cela serait une «  distraction  » du problème de l’environnement.

Ce serait une posture dangeureuse, intolérante, et source de conflits. Ce serait, peut-être aussi, nier à l’humanité l’opportunité ne «  ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier  ».

Autrement dit, on mettrait l’humanité en danger en lui refusant le droit d’avoir des plans de secours.

Veut-on vraiment faire courir à toute l’humanité le risque de perdre sa mémoire, son histoire, son patrimoine, sa culture, voire même sa survie en tant qu’espèce, juste pour une posture idéologique ?

Je pense que non. La réponse devrait dépendre des perspectives de ceux qu’on veut mettre dans des canots de sauvetage et de la balance entre les opportunités et les risques.

Le scénario des canots à la mer devrait faire partie de notre réflexion sur l’avenir de l’humanité, en relation à la question de la survie de l’écosystème de la Terre.


  1. Carl Sagan, Pale Blue Dot, Random House, 1994, ISBN 0-679-43841-6 

  2. Carl Sagan, ibid. 

  3. Pour le programme de NASA; pour celui de SpaceX

  4. GRASSET, Olivier. JUpiter ICy moons Explorer (JUICE): une mission de l’ESA pour explorer l’émergence des mondes habitables autour des planètes géantes gazeuses. EU-topias, 2014, vol. 8, p. 101-111. pdf: https://archive-ouverte.unige.ch/unige:133752/ATTACHMENT01