Aller au contenu

Brexit, le discours de la Commission européenne du 24 décembre 2020

2 janvier 2021

Quelles que soient nos opinions et appréciations sur l’Union européenne, force est de constater que certaines dates, et certains discours, sont plus importants que d’autres. Un d’entre eux est celui d’Ursula van Leyen (Présidente de la Commission européenne) qui exprime la position de l’UE suite à la conclusion des négociations.

Oh certes, ce discours du 24 novembre n’a pas fait la une des journaux. Mais, de nos jours, ce que les grands titres de la presse publient ou non n’a plus grande importance dans l’ordre général des choses, car ils sont un des derniers vestiges de l’époque pré-Internet (et quant aux réseaux sociaux des multinationales, il ne faudra pas trop compter sur eux pour laisser une empreinte durable).

Ce qui compte dans ce discours, est ce qui en restera. Et ce discours restera, non pas à cause de son caractère spectaculaire (qui lui manque absolument), ou de sa popularité, mais à travers sa forme et son contenu.

En premier lieu, une remarque sur la forme. Non, ce qui frappe n’est pas le fait que la salle soit vide (ce qui n’est qu’un effet secondaire de la «  pandémie psychosomatique  » du COVID-19). Ce qui est important, ici, est que le fait que le discours ait été prononcé par la même personne en trois langues (l’anglais, le français et l’allemand); et plutôt bien, faut-il ajouter.

La question de la souveraineté nationale, vis-à-vis de la mise en commun des ressources

Ce qui compte, au niveau du contenu, est bien sûr l’annonce que les longues négociations du Brexit ont abouti, suite à la décision de sortie du Royaume-Uni déposée le 29 mars 2017. Le fait qu’elles aient abouti et qu’elles apportent cinq ans de relative certitude est, au fond, un élément plus important que le contenu lui-même.

Sur le long terme, ce qui frappe est la remarque suivante sur la souveraineté:

Citation

Bien entendu, tout le débat a toujours tourné autour de la souveraineté.

Mais nous devrions nous détacher des slogans et nous demander ce que signifie réellement la souveraineté au 21e siècle.

Pour moi, elle implique la capacité de travailler, voyager, étudier et faire des affaires sans entraves dans 27 pays.

Elle nous appelle à mettre en commun nos forces et à parler d’une seule voix dans un monde fait de grandes puissances.

Et en ces temps de crise, elle nous appelle à nous relever mutuellement, plutôt que d’essayer d’y arriver chacun pour soi.

L’Union européenne montre comment cela fonctionne dans la pratique.

Et aucun accord au monde ne peut changer la réalité ou la gravité de l’économie actuelle et du monde d’aujourd’hui.

Nous faisons partie des géants.

Certes l’Union est devenue un géant. Et assimiler la souveraineté à la «  a capacité de travailler, voyager, étudier et faire des affaires sans entraves dans 27 pays  » est bien entendu une référence au marché intérieur unique. Lequel, en effet a impliqué une renonciation partielle aux souverainetés nationales, pour placer un point de coordination et de décision au-dessus des Etats-nations. Et le passage à une organisation supra-nationale est, effectivement un aspect essentiel du processus d’unification européenne entamé depuis 1950.

Dans la «  mise en commun nos forces et à parler d’une seule voix dans un monde fait de grandes puissances  », on trouve la thèse de contenue dans la Déclaration Schuman du 9 mai 1950 (sans doute un des discours les plus importants de toute l’histoire de la construction européenne), c’est-à-dire la «  mise en commun organique des ressources  », qui avait alors concerné le charbon et l’acier d’Allemagne et de France. En mettant en commun ces deux ressources primordiales pour se faire la guerre, ces deux pays se garantissaient mutuellement la paix.

cvce.eu

None

Déclaration de Robert Schuman (Paris, 9 mai 1950)

Le 9 mai 1950, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, invite l'Allemagne et d'autres États européens intéressés à placer leur production de charbon et d'acier sous le contrôle d'une institution supranationale européenne. Le discours de Schuman n'ayant pas pu être enregistré le 9 mai 1950, le ministre devra ultérieurement se prêter à une reconstitution pour la postérité.

Quant à l’affirmation suivante:

Citation

Et en ces temps de crise, [l’Union européenne] nous appelle à nous relever mutuellement, plutôt que d’essayer d’y arriver chacun pour soi.

Elle se réfère – originellement – à la nécessité pour les trois grandes puissances européennes (le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne) de se relever après la dévastation de la Seconde guerre mondiale, face à la menace très concrète d’une occupation soviétique. Il faut rappeler que le souvenir du blocus de Berlin n’était pas loin, et que (à l’autre bout de l’Eurasie), la guerre de Corée venait de commencer.

La souveraineté absolue des Etats européens est morte depuis longtemps

Ici, la question va bien au-delà des reproches légitimes qu’on peut faire à la direction de l’Union européenne, voire à la Commission européenne actuellement sous la présidence d’Ursula van Leyen. Les dysfonctionnements, et le manque de capacité d’atteindre les coeurs des citoyens européens sont observables et ne sont pas nouveaux. L’Union européenne commence à adopter des travers de grande puissance, au travers de sa diplomatie coercitive vis-à-vis de pays tiers (notamment vis-à-vis de la Suisse) qui rappellent malheureusement ceux des Etats-nations de l’époque coloniale.

Mais l’époque de la souveraineté, au sens moderne, c’est-à-dire la capacité pour un Etat-nation européen de prendre des décisions de façon absolument autonome et libre vis-à-vis de tous les autres Etats du globe, est totalement révolue en ce qui concerne l’Europe – et non pas uniquement la petite Suisse.

Pour la France, la souveraineté au sens stricte est morte avec la défaite de 1940 et l’Occupation. Lorsque l’armée allemande d’occupation fut chassée du territoire national au cours de la seconde moitié de l’année 1944, ce fut pour être remplacée par une autre armée, dont la colonne vertébrale était américaine. Certes la France retrouva une souveraineté relative, qui valait mieux que celle de la Pologne, la Tchécoslovaquie ou à fortiori l’Allemagne. Mais la souveraineté absolue a péri dans les convulsions de la Seconde guerre mondiale. Ce n’est pas la possession française d’armes de destruction massive (la fameuse dissuasion nucléaire), ni les louables efforts du Général de Gaulle de restituer une grandeur nationale, qui changeront beaucoup au fait que Paris a vécu à l’ombre de Washington depuis 1944.

C’est à cette aune que la déclaration du 24 décembre prend un sens. Face aux blocs des deux grandes puissances (les Etats-Unis et la Chine) ainsi que des puissances de second rang (notamment la Russie et l’Inde), les trois puissances européennes que sont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne pèsent plus lourd depuis des décennies. Certes leurs économies sont respectables, mais on sait que la puissance politique ne se mesure pas uniquement à un produit intérieur brut.

Et puis, même les gouvernements de la Chine et des Etats-Unis s’illusionnent beaucoup, avec leur conception absolue de la souveraineté. Celle-ci est devenu impossible à notre époque, sur une planète qui est devenue trop petite pour que des Etats existent côte à côte sans accepter leurs interdépendances. Et en dépit de toutes les déclarations et les gesticulations, Pékin et Washington devront apprendre la modestie et le respect des autres Etats.

Et le Royaume-Uni ?

Le Royaume-Uni tente encore, desespérément de nier la réalité qui l’accable aussi depuis 1941 – c’est-à-dire sa dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis, qui se mua progressivement en dépendance militaire puis en vassalité politique. Cette vassalité fut un des dommages collatéraux de la Seconde guerre mondiale. C’est ainsi, il est inutile de nier la réalité.

On peut comprendre le sursaut de fierté du Royaume-Uni, au nom de son empire et de sa gloire passés. Mais comme Venise au XVIIIe siècle, Londres n’est plus le sens du monde et ses diplomates ne sont plus acceuillis avec autant d’empressement qu’à l’époque de la Conférence de Berlin sur l’Afrique de 1884-85. Il ne vaut plus la peine de se battre pour une coquille vide; et quand le jeu est terminé, mieux vaut quitter la scène avec grâce.

À travers le Brexit, l’acteur britannique réclame le droit de jouer son propre rôle et son propre script. Mais pour quelle audience ? Certes sa diplomatie sera reçu poliment à l’étranger. Mais dans quelle chancellerie de grande puissance – que ce soit à Washington, Pékin, Bruxelles, Moscou ou New Dehli – lui accordera-t-on encore les gloires ou les triomphes d’entan ? Cessons de rêver.

Le Royaume-Uni recevra, comme un pièce d’auteur, son succès d’estime sur la scène internationale. Le choix d’abandonner son public pour jouer son propre script était sans doute courageux. Mais si c’est pour désormais se contenter des dernières pages des programmes, est-ce le jeu en valait la chandelle ? Cela reste à voir.

Documents additionnels

  • Documents officiels: