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Google et les Réseaux Sociaux de Multinationales sont-ils archaïques (tout comme la presse, d'ailleurs) ?

30 novembre 2020

"Femmes de mineurs", Vincent van Gogh (1882)

Cela un certain temps que nous nous sommes rendu compte que les médias de masse traditionnels (presse, télé, radio) sont en perte de vitesse.

Le déclin des médias de masse

Leurs inconvénients étaient nombreux : le premier était leur caractère centralisé qui en faisait des moyens de parfaits pour influencer l’opinion publique.

Un autre inconvénient était leur maîtrise du temps: les journaux et les téléjournaux étaient diffusés journellement, à des heures prédeterminées.

Le troisième inconvénient était que le public était totalement passif, puisqu’il ne pouvait que «  recevoir  » l’information.

On peut distinguer deux périodes, en tout cas pour l’Europe occidentale :

  • La première était celle du contrôle étatique. C’était la période ou la télévision (et en partie la presse), qui se déclaraient une fonction éducative, défendaient surtout des intérêts nationaux. À l’époque où la télévision et la radio étaient encore contrôlé par l’Etat, l’information et le gouvernement avaient partie liée; la presse écrit avait une latitude un peu plus grande, mais tout de même limitée.

  • La seconde et dernière phase (qui débuta dans les années 1980, avec des différences selon les pays) a été celle des médias de masse nationaux-populaires. Le terme est utilisé ici dans un sens récent, qui dénote des médias de masse au service d’intérêts commerciaux, pour qui l’identité nationale n’est plus que des stéréotypes et des aspects superficiels, au service de la vente de produits de grande consommation. La publicité a clairement gouverné le modèle économique des médias de masse.

Cette seconde phase qu’on appela libéralisation apparut temporairement comme une chance d’améliorer une offre anémique, et multiplia les canaux. Malheureusement, ce fut aussi un effondrement de la qualité moyenne. La publicité est un maître exigeant, qui a fait mettre en avant la littérature d’exploitation1, qui font appel aux bas instincts de l’être humain.

Dans le domaine visuel, cela a été la naissance de la télévision-poubelle, qui faisait fortement appel à la littérature d’exploitation.

Pourquoi les journaux sont-ils devenus une littérature d’exploitation?

La raison fondamentale est simple : la publicité grand public, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, a été largement conçue comme une littérature d’exploitation qui, au lieu de faire appel à des émotions positives, vise largemnt à exploiter, manipuler les êtres humains notamment aux travers de leurs instincts primaires.

Ce n’est pas un travers de la publicité en soi, qui pourrait être tout à fait conduite avec des principes éthiques : c’est un travers des grandes agences publicitaires internationales, qui continuent à véhiculer une vision purement biologique (pour ne pas dire méprisante ou dégradante) de l’être humain réduit à un chien de Pavlov.

Pour ces «  grands publicitaires  », la culture et le libre-arbitre sont deux ennemis qu’il faut combattre avec acharnement, afin de l’anéantir.. Ces agences de publicité sont engagées dans une guerre d’extermination contre la civilisation humaine et tout ce qui fait la dignité de l’homme.

Un journal ou une chaîne de télévision qui fonde ses revenus sur la publicité, vit de la littérature d’exploitation. Dès lors, toute l’entreprise se met au service de l’exploitation psychologique du consommateurs.

La descente aux enfers s’est poursuivie. En 2020, la réputation des journaux comme le Monde (France) ou le Temps (Suisse), naguère fleurons de la presse national, est descendue au-dessous de journaux de boulevard si méprisés dans les années 1980: le France Soir, le Blick.

Le World Wide Web: la Toile de l’espoir

Photo par Michael Podger sur Unsplash

Les journaux traditionnels se sont trouvés en difficulté avec la naissance du World Wide Web (WWW, la Toile) en 1989, qui permit soudainement de relier entre elles les ressources textuelles, sonores et visuelles de l’Internet, grâce à un système de liens dits hypertextuels2. En quelques années, des millions et des millions de personnes se retrouvèrent connectées «  à l’Internet  ».

Le succès fulgurant du WWW fut à la fois technique et organisationnel, qui faisait appel à un modèle décentralisé, sur lequel aucun gouvernement ne pouvait en principe agir.

Le WWW et la valeur de partage de l’information

Mais il y avait un élément culturel qui n’avait pas été prédit, et qui causa une crise des modèles d’affaire : le WWW avait été conçu par un monde académique de physiciens et d’informaticiens pour qui le partage sans réserve de l’information publique était une valeur militante et profondément enracinée. Et cette valeur du partage présupposait la gratuité de l’information.

Donc non seulement la presse écrite voyait le support papier menacé par la diffusion du WWW, mais aussi il se trouvait face un public qui fut prompt à l’adopter, en bloc : et qui ne voulait plus payer pour l’information.

Point de salut dans les Réseaux Sociaux de Multinationales (RSM)

La réponse qui vint immédiatement à l’esprit pour remplacer le prix payé par les consommateurs en exemplaires de journaux, redevances radio-télé, ou abonnements divers fut de recourir à la solution des médias nationaux-populaires: la publicité.

Comme des sociétés comme Google le comprirent rapidement, il était possible de connnaître les goûts et les intérêts du public et cette information fit naître un marché publicitaire nouveau.

Le modèle d’affaire de Google et Facebook : archaïque ?

Le but ici n’est pas de revenir sur les tenants et les aboutissants de cette exploitation des informations privées des internautes, mais de faire remarquer que le modèle d’affaires de Google et Facebook, qui fonde les revenus sur la publicité présente le même inconvénient que la télévision commerciale: il favorise la littérature d’exploitation, et pour les mêmes raisons.

Encore plus que la télévision poubelle de la fin du XXème siècle, il privilégie l’information simpliste, choquante ou voyeuriste. Il aboutit à une dégradation de la civilisation humaine.

Et ce qui est plus grave, c’est que ce modèle économique est archaïque, parce qu’il fait appel à une mentalité dépassée, vis-vis du traitement de l’information, qui appartient à l’époque d’avant la naissance du WWW :

un modèle centralisé, qui est l’antithèse du modèle ouvert du WWW.

La solution de la publicité pour financer l’information ou les RSM est la solution de facilité. Elle n’est pas viable à long terme.

Sur les RSM, voir aussi

Les travers de la société numérique.

Dès lors, on peut dire sans équivoque que Google, ainsi que Facebook et d’autres sont des entités archaïques, parce que gouvernées par une conception pavlovienne des êtres humains, ainsi qu’un vision de la société comme divisée en castes – ou des «  consommateurs  » n’existent que pour être au service de grandes entreprises qui les exploitent.

Et dans ce modèle centralisé, la publicité (pervertie pour devenir un asservissement des cerveaux) joue le rôle de mur entre une très petite minorité de nantis et le reste de la population. Et une part significative de l’information diffusée par la presse, la télévision, les médias, et en définitive aussi les RSM, est de la littérature d’exploitation.

Presque presque, avec cet asservissement programmé des «  classes inférieures  », on ne serait pas si loin des conceptions impérialistes et coloniales de la société victorienne de la fin du XIXème. Voilà : les GAFAM, avec leur obsession pour la publicité pavlovienne, seraient-ils en réalité porteurs d’atavismes ? Seraient-ils des résidus des préjugés de caste de l’époque victorienne et du mépris pour le populaire : tout ce qui ne serait pas la «  petite caste internationale des nantis  »?


  1. Littérature d’exploitation : présentation de l’information écrite (ou au sens plus large, pour les supports audio ou vidéo) qui cherche à capter l’attention du lecteur/auditeur/spectateur au travers de ses instincts primaires, grâce à des sujets à la mode, choquants, violents, ou voyeuristes. 

  2. Pour comprendre véritablement l’esprit qui présida à la naissance du World Wide Web, le mieux est de se référer au texte programmatique original: Tim Bernes-Lee, «  Information Management: A Proposal  », CERN, 1989, https://www.w3.org/History/1989/proposal.html