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Vous avez peur l'IA ? Apprenez à programmer.

2 décembre 2020

Apprenez à programmer ! Photo par Rick Kimotho sur Unsplash

Je me suis rendu compte que les discriminations sociales qui frappent les hackers (que des bien-pensants ignorants considèrent souvent comme des criminels ou des asociaux), ne sont pas là pour rien.

Elle ne sont pas là pour décourager les hackers (qui s’en moquent), mais pour décourager le reste de la population de toucher à la symbolique pilule rouge de Matrix.

Les «  hackers  »: démonisés ou méprisés ?

L'image discriminatoire du hacker. Photo par Bermix Studio sur Unsplash

Ne pas confondre avec un hacker malveillant

Alors définissons bien ce que nous entendons par hacker, avant que l’habituel journaliste de boulevard (ou de journal en fin de vie, tenu sous perfusion par des fondations) fasse des titres sensationnels.

Un hacker dans le sens général, n’est pas un voleur de données privées ou personne qui rentre dans votre système pour vous voler des données. Ce type de hacker malfaisant (les chapeaux noirs), c’est plutôt Google et Facebook, voyez-vous. Ou celui qui vole, sans votre consentement éclairé, vos données de navigation quand vous visitez un site sur la Toile. Ou alors le troll, désinformateur ou journaliste de bas étage (c’est la même famille) qui exploite ces données pour vous faire avaler sa daube politique ou commerciale. Ceux-là sont les renégats, qui ont embrassé le côté obscur de la force.

C’est souvent ces gens qui ont le mot hacker à la bouche, dans leur effort de conduire une chasse aux sorcières.

Quand on ne démonise pas les hackers, on se plait à les traiter avec condescendance, comme des exclus sociaux ou des individus socialement déficients : geeks, dyslexiques (une image pernicieuse promue par Bill Gates), autistes, etc.

La vraie question

La vraie question qu’il faut poser est la suivante: comment se fait-il que la compétence technologique, dans un des domaines les plus importants pour notre civilisation du XXIème siècle (les programmation des ordinateurs), est décrite par les autorités et les médias, tantôt comme une forme de criminalité, tantôt comme une maladie mentale ?

Cette discrimination sociale systématique de personnes indispensables au bon fonctionnement de notre société n’est-elle pas étrange ?

Photo par Artem Beliaikin sur Unsplash

Cette absurde idée a autant de sens, scientifiquement, que de traiter tous les mécanos de voiture ou de moto comme des criminels potentiels ou des malades mentaux. Ou alors les cuisiniers professionnels, les chimistes, les paysans (en effet, est-ce que cela ne remonterait pas aux préjugés de caste de l’Ancien Régime). Toute personne avec une compétence technologique particulière serait-elle soit un criminel soit un dérangé ?

D’où vient cette étrange idée que les seules personnes «  socialement acceptables  » seraient celles qui ne savent rien faire de leurs deux mains ?

Pourquoi la société moderne – ainsi que les systèmes éducatifs – cherche-t-ils à décourager les jeunes d’acquérir d’authentiques compétences technologiques ?

Et pourquoi insiste-t-elle que le seul lieu légitime pour apprendre des compétences technologiques devrait être l’université ?

Autrement dit, pourquoi notre société ignore ou rejette-t-elle l’enseignement des technologies dans l’école obligatoire ou secondaire, et particulièrement la programmation informatique ? Comme si c’étaient des choses sales dont un futur citoyen «  bien  » devrait se tenir éloigné ?

Les hackers ont construit la société numérique

Qu’est-ce qu’un hacker ?

Un hacker est une personne qui affirme sa volonté de maîtriser la technologie, plutôt que de se laisser maîtriser par elle. C’est l’équivalent pour la programmation informatique du fana de mécanique, du bricoleur.

Le terme, dans son acception moderne viendrait du… club de trains en modèle réduit du MIT (Boston), qui servit à des expérimentations informatiques, et fut un des éléments à l’origine du… Laboratoire d’intelligence artificielle de cette école polytechnique (CSAIL)1.

Les histoire a été consignée dans la chronique de Eric S. Raymond2 «  A brief history of hackerdom  » («  Une brève histoire de monde des hackers  »). Ce sont des hackers au service de la Défense américaine qui ont inventé ARPANET (le futur Internet) à la fin des années 1960, dans le but de créer un réseau continental capable d’intégrer des centres de recherche des USA situés quelquefois à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. Clairement, le but était de fournir une bonne base pour relier les centres militaires aux, Etats-Unis3.

L’Internet: conçu pour ‘résister à une guerre nucléaire’ ?

Voilà, si vous ne le saviez pas : si l’Internet a été conçu de façon si robuste, c’était pour faire en sorte qu’il continuerait de fonctionner même si plusieurs noeuds vitaux venaient soudainement à manquer.

En fait tant qu’il existerait au moins trois circuits électroniques en état de fonctionner et un fil capable de les relier deux à deux, l’Internet continuerait d’exister. Même si cet objectif de «  résister à la guerre nucléaire  » ne figure pas dans les documents officiels, ce n’est quand même pas pour rien que les militaires furent les premiers à financer à un tel réseau décentralisé.

Les hackers furent aussi ceux qui créèrent le système Unix, qui se trouve à la base de:

  • la plupart des serveurs informatiques dans le monde (sous le nom de Linux)
  • les ordinateurs portables et de bureau fabriqués par Apple.
  • et les centaines millions de téléphones iPhone et Android.

On a voulu faire faussement croire que les hackers sont forcément des hommes; peut-être un reflet des préjugés sur l’absence de «  grâces sociales  » associés à la féminité?). Dans les années 1970 et 1980, des femmes exceptionnelles ont réussir à se conquérir, dans une société américaine et européenne machiste jusqu’à la moëlle, des places respectées et même enviées. C’est que les exigences de la technologie sont arrivées, parfois, à primer sur les préjugés discriminatoires.

Lever de terre, vu de la mission Apollo XI (1969). Photo: NASA Johson

Les hackers ont littéralement construit notre civilisation numérique. Ils ont aussi, évidemment, rendu possible la conquête spatiale, qui n’aurait pas été possible sans les développements informatiques qu’ils avaient poussés.

Les jeunes, sacrifiés sur l’autel des préjugés sociaux ?

La leçon à tirer est pour les personnes qui n’ont pas (encore) de compétences technologies, notamment en programmation des ordinateurs.

Avis public

Les autorités, les médias, les préjugés sociaux, on tous tendance à vous garder (oui, vous qui me lisez) à l’écart d’une technologie qui est en réalité extraordinairement facile d’accès.

L’idée qu’il faut être doué (ou à fortiori) dérangé pour pratiquer la programmation est un mensonge pur et simple.

L’idée qu’il faille «  être Einstein ou Bill Gates pour programmer  » est une superstition risible, a classer avec les croyances dépassées que la terre est plate ou que les dinosaures ont 5‘000 ans d’âge.

Pourquoi le hacker est il ‘haïssable’?

Pourquoi ? La réponse est simple: le hacker possède une compétence technologique. Il ne se laisse pas faire par les systèmes de surveillances des gouvernements; il ne se laisse pas piller ses données personnelles par les GAFAM.

Ils réagit quand il perçoit que des pratiques telles que le vote électronique, ou la désinformation, pourraient mettre en danger les processus démocratiques.

Il s’exprime en faveur des libertés individuelles. Il écrit aux gouvernements à propos des excès de la surveillance policière; il dénonce les abus des GAFAM.

Faut-il encore expliquer pourquoi il est si «  haissable  » ?

Le hacker possède souvent une éthique, qui est largement partagée par les communautés dites du logiciel libre ou open source. Cette éthique n’est pas uniforme; elle exprime des sensibilités différentes. Mais elle est bien réelle.

Ceux qui se présentent comme des «  autorités  » et qui font un portrait des hackers comme des êtres uniformément immoraux sont des menteurs (qu’ils mentent par ignorance, mesquinerie ou cynisme dépend des cas). Et les dictionnaires portent une responsabilité dans ces mensonges, en ayant reporté des définitions uniformément discriminatoires de la personnalité du hacker.

Il est temps que cela cesse, parce que le dommage n’est pas pour les hackers eux-mêmes, qui ne se laissent de toute façon pas impressionner par ces balivernes moyen-âgeuses qui ont pour but de créer des «  boîtes  » idéologiques, où placer des catégories socio-professionnelles ou des opposants politiques.

Le dommage est pour la société en général

Le dommage le plus grave n’est pas du tout pour les hackers, pour qui finalement les avantages de détenir une des compétences de survie les plus vitales dans notre société, vaut bien les inconvénients des stigmates sociaux. La plupart haussent les épaules philosophiquement, en lamentant les superstitions de la société moderne.

Le dommage est surtout pour l’ensemble de la société. Pour les jeunes qui grandiront dans l’ignorance de la programmation informatique qui pourrait les aider à garder leur emploi face à la montée de l’Intelligence Artificielle (IA) et de la surveillance numérique.

Les jeunes qui auront acquis, durant leur formation, des compétences de hackers auront plus de chance de survivre alors que tous les autres pourraient devenir des victimes.

Hypothèse : serait-ce un stratagème ?

Ce stigmate contre les compétences des hackers pourrait être un stratagème (plus précisément le vingt-huitième stratagème des Chinois): retirer l’échelle après avoir fait grimper autrui sur le toît?

Les efforts ont été faits. Les développements sont suffisants. Maintenant que les gouvernements autoritaires ont leurs systèmes de surveillance, leurs caméras, leurs drones; et que des entreprises multinationales ont leurs systèmes de vol organisé des données privées, et qu’elles ont désormais le pouvoir de détruire un concurrent si elle désirent, en abusant de leurs positions dominantes.

Maintenant que la technologie existe pour construire un totalitarisme qui rend le scénario du roman 1984 de George Orwell quasiment risible (c.f les pratiques des gouvernements chinois et américain), qui a besoin des hackers ? Qui veut des jeunes capables défendre leur intégrité dans une société numérique ? ? Des multinationales ? Certes non!

Des informaticiens avec un collier en fer autour du cou, et des clauses de secret, et des menaces de procès s’ils ouvrent la bouche ? Certes.

Mais des informaticiens indépendants ? Des jeunes capables de déjouer une application de télétravail qui les filmerait à leur insu dans l’intimité de leur appartement ? Qui pourraient se mettre à leur compte et construire une entreprise concurrente depuis leur garage ou leur appartement? Horreur !

Existe-t-il une réponse possible ?

Bien sûr que la réponse existe. Elle a été pratiquée au Royaume-Uni dans les années 1980 sous l’égide de la chaîne d’Etat, la BBC. Plus généralement, une vague libertaire avait déferlé sur l’Europe et les Etats-Unis, qui fut celle de la micro-informatique, lancée contre les blouses blanches qui avaient fini par dominer le monde informatique et menaçaient la culture hacker.

La révolution micro-informatique, qui vit notamment la naissance de Microsoft et Apple, fut un sous-produit de la culture hacker.

Mais ces deux, sont parmi les quelques survivants d’une guerre sans pitié conduite par IBM et Microsoft contre les acteurs de cette révolution, qui fut tronquée durant les années 1990 (avant que Microsoft ne se retourne contre IBM). Apple elle-même faillit en mourir.

Il existe un nouveau mouvement de réponse, pour les années 2020, qui s’inspire de la révolution des années 1980, qui a pour but de remettre les compétences informatiques (de programmation) entre les mains de la population et notamment des jeunes.

De recréer un nouvel âge d’Or des hackers qui ferait face avec succès aux défis de l’avenir.

Auriez-vous envie d’en entendre parler ?


  1. Sur l’histoire complète du terme, voir Morris Gervitz, «  The History of the Word “Hacker”  », Deepgram, 22 Février 2019, https://deepgram.com/blog/the-history-of-the-word-hacker-2/. 

  2. Eric S. Raymond, «  A brief history of Hackerdom  », 2000, http://catb.org/~esr/writings/hacker-history/hacker-history.html#toc2. Eric S. Raymond est un acteur connu du monde du logiciel de l’Open Source, auteur du livre de référence La Cathédrale et le Bazar, 1998. La version papier en anglais est disponible sur Amazon France (pour ceux qui tiennent à payer pour ce qu’il peuvent avoir gratuitemnt). 

  3. Arpanet fut développé par le DARPA (Defense Advance Research Projects Agency), qui existe toujours. Pour l’histoire, voir Mitch Waldrop, «  DARPA and the Internet Revolution  », https://www.darpa.mil/attachments/(2O15)%20Global%20Nav%20-%20About%20Us%20-%20History%20-%20Resources%20-%2050th%20-%20Internet%20(Approved).pdf