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Suisse: Pourquoi les citoyens voteront NON à la loi Covid (13 juin 2021)

15 mai 2021

Je viens de lire un billet écrit par un éditeur genevois sur un réseau social, qui dit en substance ceci : «  je voterai en faveur de la loi exceptionnelle Covid le 13 juin 2021, parce que cela ne changerait rien si je votais NON. Et donc, je préfère suivre les recommandations du Conseil fédéral.  »

Je ne suis pas d’accord.

admin.ch

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Loi COVID-19

Le 13 juin 2021 le peuple suisse va s'exprimer sur la Loi COVID-19.

Deux raisons pour lesquelles je ne suis pas d’accord

Une telle affirmation, venant d’un éditeur genevois (pourtant censé défendre l’exercice presque sacré de la liberté de pensée), m’a troublé.

  1. J’objecte à ce qui m’est apparu comme un reni des principes traditionnels qui ont fondé le métier de l’éditeur de livres depuis la Réforme: surtout à Genève, une des seules villes d’Europe, avec Amsterdam et quelques autres, où l’on avait encore le droit de publier des ouvrages qui étaient censurés partout ailleurs.

  2. Mais surtout, cette acceptation passive de l’autorité du Conseil fédéral est une remise en question profonde de ce qui définit notre existence d’êtres humains et l’essence même de la démocratie: le libre-arbitre de l’être humain.

Un exemple de la liberté d'esprit de l'industrie genevoise de l'édition: *Traité de la tolérance* (Voltaire), publié à Genève en 1763

Nous sommes dans dans deux options philosophiques radicalement différentes sur l’existence. Face à une situation de crise, il y a deux partis à prendre.

C’est d’agir soit:

  1. Comme un citoyen d’une république (adulte) qui participe activement et de façon responsable à la vie politique de son pays. Traditionnellement, le citoyen est celui qui jouit du droit de cité, et qui prend part à la vie politique et sociale et la cité.1

  2. Comme un sujet (un enfant) d’un Etat autoritaire, où une minorité prend les décisions de façon paternaliste, pour le compte de toute la population.

L’état de minorité intellectuelle : l’individu sous tutelle

Il faut revenir sur cette question existentielle du libre-arbitre.

Soit on est passif et apathique, auquel cas on se place soi-même à la merci des évènements et des circonstances. Lesquels évènements peuvent (le monde est chaotique) dégénérer ou perdurer sans limite de temps. En 2021, ces évènements peuvent mettre fin brutalement à n’importe quel moment à notre vie familiale, à notre entreprise, voire même à notre intégrité physique (puisqu’un citoyen pourrait être arbitrairement arrêté et mis sous clé, sans recours judicaire).

Quel est l’argument? «  Ne rien faire, faire confiance et suivre les instructions  » ?

Ceux qui feraient le parallèle entre cette attitude et celle d’un enfant, et qui assimilent cet argument à une infantilisation du citoyen font un raisonnement philosophique correct.

Un enfant suit la direction de ses parents et leur obéit, parce qu’il lui manque l’entendement et les connaissances nécessaires pour juger les évèments. C’est l’état qu’on appelle juridiquement la minorité ou (quand elle s’applique à un adulte), la tutelle. C’est aussi l’état dans lequel une puissance coloniale place une population conquise par les armes.

Dessin tiré de *Tintin au Congo* (1930)
L'image du maître à penser qui dirige l'élève sous tutelle, y est illustrée de façon explicite, avec tout ce que cela comporte d'imposition arbitraire de valeurs ("votre patrie: la Belgique").
Et, très symboliquement, c'est le chien qui a le rôle de faire respecter la discipline.

Emmanuel Kant _Une réponse à la question: Qu’est-ce que les Lumières? (1784)

Les Lumières sont la sortie de l’être humain de sa condition de mineur, qu’il s’est imposée par sa propre faute.

La condition de mineur est l’incapacité d’utiliser son propre entendement sans la direction d’une autre personne.

Cette incapacité est par sa propre faute quand elle ne résulte pas d’un manque d’entendement, mais du manque de courage et de détermination pour s’en servir sans la direction d’un autre.

Sapere Aude2 ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Telle est la définition des Lumières.

Les Lumières, c’est donc un acte de volonté qui ne consiste pas seulement à raisonner; mais aussi à oser faire confiance à notre popre aptitude à raisonner, et de fonder notre action uniquement sur cette aptitude.

Et au lieu de cela, le gouvernement, une certaine presse, voudraient demander au citoyen d’aller au lit le soir en n’ayant rien fait de sa journée, et de vivre sous la tutelle d’un gouvernement central, en attendant les évènements et les instructions de «  task forces  », de «  médecins cantonaux  »? Ainsi que des «  aides financières  » de l’État?

Quelle attitude étrange, qui n’est autre que de l’indifférence, du laisser-faire et de la passivité. C’est l’attitude de l’irresponsabilité, qui naît de la paresse, ainsi que de la lâcheté intellectuelle; ou alors d’un acte de violence arbitraire, qui a renversé la souveraineté d’un pays ou (dans le cas présent) celle du peuple.

L’état de maturité intellectuelle: le citoyen

La personnalité du citoyen se définit par l’action responsable: prise en main de sa propre vie et de celle des autres – autrement dit: il anticipe, il agit.

Et cette responsabilité implique de nier vigoureusement à quiconque le droit de prendre la responsabilité pour soi-même, à la place de soi-même. C’est un acte de sortie de l’état de minorité politique auto-imposée.

L’état moral de citoyen ne naît pas quand on atteint l’âge légal ou ou on reçoit le droit de vote, qui ne sont au départ que des fictions juridiques. C’est à l’individu de transformer, par un acte de volonté délibéré, cette fiction en une réalité concrète.

L’entrepreneur n’est rien d’autre qu’un citoyen qui a étendu sa responsabilité personnelle (pour sa propre sphère intangible) et familiale (pour les autres personnes de son foyer) à la sphère sociale.

Au moment précis où l’individu rejette l’étiquette confortable de son employeur (qu’il a utilisée pudiquement jusque là comme une feuille de vigne) et a décidé de travailler sous son propre nom, ou alors a fait naître une nouvelle personne morale, il signe un acte d’émancipation intellectuelle et morale.

À contrario, le notable qui accepte des compromissions pour défendre sa tranquillité et son bon nom, ou pour s’assurer des avantages sociaux indûs, vient de retomber en enfance.

Citoyen ou sujet? C’est un choix personnel

Une crise par définition, est exceptionnelle et de courte durée. Il est justifiable que des individus ou des groupes prennent des responsabilités étendues pendant ces crises. C’est un acte de courage, mais à une condition que cette phase soit la plus courte possible et qu’ils rendent le pouvoir dès qu’ils le peuvent, après avoir rendu compte de leurs actions.

Dès que l’on parle de (nouvelle) normalité on n’est plus dans le courage de l’action, mais dans la paresse et la lâcheté intellectuelle.

C’est l’attitude «  quelqu’un d’autre s’en occupera à ma place  ». C’est l’attitude d’immaturité, de l’enfant éternel qui refuse sa responsabilité de citoyen.

Il est dans la nature de la démocratie, d’accorder à chaque femme ou homme adulte le droit d’exercer ses prérogatives de citoyenne ou de citoyen.

Mais attention: appeler n’importe quel adulte «  citoyenne  » ou «  citoyen  » n’est au départ qu’une fiction juridique. C’est à la personne qu’il incombe de transformer cette fiction en réalité.

Malheureusement, il y a de ceux qui n’arriveront jamais à la condition d’émancipation morale du citoyen – parce qu’ils auront tout le temps besoin qu’on leur dise ce qu’ils doivent penser, pour qui ils doivent voter, et qui ils doivent élire. Néanmoins, l’essence de la démocratie, consiste à leur donner quand même leur chance d’être libres.

‘Electeur’, un terme d’injure et de mépris ?

Ce qu’on appelle abusivement un électeur au cours de campagnes électorales où s’échangent des coups bas et des argumentations de sangliers en chaleur, est un contresens.

On se réfère, par ce terme méprisant d’électeurs (qui, par définition, ne font que tirer des cartes qu’on a déjà choisies pour eux) à des enfants crédules et influençables, qui réagissent de façon primaire et impulsive à des stimuli publicitaires, puisque qu’ils leur manque totalement le sens du jugement.

Un système politique qui fonctionne avec des campagnes électorales de ce type n’est pas une démocratie mais un élevage de poules.

Un citoyen ne se laisse pas tendre des cartes choisies à l’avance. C’est lui qui choisit ses propres cartes.

Un parti politique qui fait cela n’organise pas une «  campagne électorale  », mais un spectacle de foire de très mauvaise qualité.

Leur tendance quasi-automatique à décerveler leurs membres avec des argumentations dignes d’une cour de récréation, montre à quel point ils ont abandonné leur rôle de promoteurs de la démocratie, pour devenir des instruments d’un pouvoir politique dont le seul but est d’abrutir le peuple.

Refaire de la démocratie une réalité objective

Et c’est à ce niveau bien bas qu’est tombée la démocratie helvétique, depuis quelques années. La crise qui a débuté en mars 2020 n’a fait que mettre en évidence l’état de délabrement des grands partis politiques traditionnels qui, en perdant le contact avec leur base citoyenne, se sont égarés de la bonne voie.

Et la démocratie (tout comme la citoyenneté) restera une fiction juridique tant qu’elle n’existera que dans une Constitution et des lois qui ne sont que lettre morte. Elle ne se manifestera, dans les faits, que quand le demos (l’assemblée des citoyens) aura objectivement imposé à nouveau sa volonté souveraine sur la marche de l’État et des affaires du pays. Et les droits constitutionnels de référendum et d’initiative sont deux moyens de le faire.

Mais il y a pire: en ce triste printemps de 2021, la Suisse n’est objectivement plus une démocratie: mais une oligarchie autoritaire, qui s’appuie sur un appareil policier, de propagande et de censure médiatique afin d’imposer sa volonté arbitraire, en violation des principes de la Constitution elle-même.

Cette notion de démocratie dans le Préambule de la Constitution a même perdu son statut de fiction juridique. Dès lors qu’elle est invoquée par des membres du gouvernement fédéral pour réclamer la prolongation de leurs pouvoirs exceptionnels au-delà des termes prévus par la loi, cette invocation est devenue une falsification idéologique (une tromperie au détriment des citoyens) 3.

Pire, il s’agit d’un refus du gouvernement fédéral de se plier à la souveraineté populaire: c’est donc un acte d’insoumission à la Constitution et à l’ordre juridique du pays; et partant, d’insubordination contre le peuple et les Cantons suisses.

Il incombe donc à chaque citoyen de dénoncer la falsification de la Constitution de rétablir la lettre et l’esprit de son texte; et de refaire matérialiser, de façon objective, le principe de la souveraineté populaire. Ce qui exigera de ré-imposer, avec vigueur et détermination, la démocratie comme régime politique de la Suisse. Ce qui exigera en particulier de mettre fin à la fronde des membres du Conseil fédéral contre les institutions politiques du pays.

Les citoyens voteront NON; les sujets voteront OUI

Affiche de l'association des Amis de la Constitution

Le thème central de la votation du 13 juin est donc bel et bien la continuité de la démocratie semi-directe, et surtout le droit pour chaque citoyen (potentiel) de se transformer intellectuellement en personne émancipée, autonome et pleinement libre de ses décisions, en refusant de penser politiquement sous la direction d’un gouvernement ou d’autorités sanitaires.

Autrement dit le droit de devenir des citoyens dans le sens complet du terme, comme personnes pensant par elles-mêmes.

La citoyenneté ne consiste pas à «  participer  » (quel terme réducteur), mais à directement influencer le cours des évènements du pays.

Quand on y pense bien, élire est une sorte de négation de la citoyenneté puisqu’on délègue ainsi des individus pour penser et agir à notre place. C’est commode, et l’élection de représentants est sans doute nécessaire au fonctionnement efficient d’une société. Une élection n’en reste pas moins, sur le plan moral, un acte d’abdication du citoyen (un renoncement à sa responsabilité).

Et que cela ne devienne donc pas une excuse commode pour retomber dans l’enfance («  ils nous diront quoi faire  »), et oublier aussitôt les responsabilités permanentes qui accompagnent la citoyenneté.

Le citoyen doit donc contrebalancer cela par un engagement politique plus fort, typiquement avec des mouvements sociaux ou politiques dits grass roots.

NON à la loi Covid = OUI aux Lumières (à la sortie de l’état de tutelle)

Dire NON à la loi Covid, lors du vote du 13 juin, sera donc un acte de responsabilité personnelle et collective de chaque citoyen, qui dit très clairement au gouvernement, ainsi qu’au autorités sanitaires: «  NOUS prenons en main notre propre destin et VOUS retournez à votre place, c’est-à-dire à NOTRE service.  »

Qui fait encore campagne en faveur de cette loi ?

Alors qui fait campagne pour cette loi, en ce moment? Surtout des personnes qui défendent leur «  droit  » ne pas prendre de décisions; de ne pas porter de responsabilité; d’être de grands enfants pris en mains par l’Etat.

Autrement dit, ceux qui renoncent à leur qualité de citoyen, pour devenir des assistés, des personnes sous tutelle, des sujets4.

Ceux qui voteront NON veulent au contraire continuer de décider eux-mêmes: non seulement sur des lois proposées par le parlement; mais surtout décider, en âme et conscience, de la direction que prendra leur vie, et tout l’avenir du pays.

C’est l’essence même de la citoyenneté et de la démocratie.


  1. Citoyen: voir définitions dans le TLFi 

  2. Sapere Aude: expression latine. Sapere: «  Raisonner, exercer son jugement, savoir  ». Aude : impératif de Audere, «  oser, avoir le courage  ». 

  3. «  Le peuple et les cantons suisses / conscients de leur responsabilité envers la Création / résolus à renouveler leur alliance / pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde,  » Préambule de la Constitution suisse du 18 avril 1999 

  4. Sujet: qui est soumis à une autorité souveraine (TLFi